Petite fleur aimée

Petite fleur aimée - vue des frangipaniers du Pétrel Bleu à Saint-Leu
P’tite fleur aimée – les frangipaniers vus du balcon du Pétrel Bleu à Saint Leu

1

Vi souviens Nénère adorée,
Le p’tit bouquet, que vous l’a donne à moin
Nana longtemps que li l’est fané,
Vi souviens bien, com’ ça l’est loin.

Refrain

Petit’ fleurs fanées,
Petit’ fleurs aimées,
Di à moin toujours
Couc’ c’est l’amour ?

2

Ni marché dans la forêt,
Y faisait bon, y faisait frais,
Dan’ z’herbes l’avait la rosée,
Dan le ciel, z’oiseaux y chantaient.

Refrain

Petit’ fleurs fanées,
Petit’ fleurs aimées,
Di à moin toujours
Couc’ c’est l’amour ?

3

Depuis ça, le temps l’a passé,
Y reste rien qu’un souvenir,
Quand mi pense, mon cœur l’est brisé,
Tout ici, com’ ça, y doit finir.

Refrain

Petit’ fleurs fanées,
Petit’ fleurs aimées,
Di à moin toujours
Couc’ c’est l’amour ?

Georges Fourcade (1884 † 1962) – Petite fleur aimée – Z’histoires la caze, 1933.

*

Il existe de nombreuses variantes de détail au célèbre poème de Georges Fourcade, nous avons toutefois choisi de présenter ici le texte très précis tel qu’il est paru pour la première fois dans son recueil de poèmes, contes et pièces de théâtre Z’histoire la caze publié la première fois en 1928. Nous avons respecté scrupuleusement l’orthographe et la ponctuation de cet hymne créole, appelé par la suite à un bel avenir. De façon surprenante, le titre en est bien « Petite fleur aimée » au singulier, alors que le refrain chante au pluriel : Petit’ fleurs fanées, Petit’ fleurs aimées.

En 1930, Georges Fourcade passe son examen d’entrée à la Société des Auteurs, Editeurs et Compositeurs de Musique en présentant comme sujet P’tite fleur aimée.

Mise en musique par Jules Fossy (1879 † 1966), le fidèle collaborateur de Fourcade, sur un rythme de valse néanmoins en adéquation avec la nostalgie poignante qui se dégage du texte, P’tite fleur fanée, comme on l’appelle le plus souvent de nos jours, est connu de tous les Réunionnais, et joue le rôle d’hymne non officiel de l’Ile de La Réunion.

En voici l’interprétation par Georges Fourcade lui-même :

Parmi les nombreuses reprises de Petite fleur aimée / P’tite fleur fanée, on pourra noter celle effectuée par Les Jokarys à la fin des années 1960, qui va assurer définitivement le succès de la chanson dans le cœur des Réunionnais, avec les changements de texte et de mélodie devenus depuis standards, mais aussi l’adaptation du chanteur franco-néo-zélandais Graeme Allwright produite en 1978 après son séjour à La Réunion, ou celle de Carlos en 1986.

Dans l’air léger – Villanelle – Charles Leconte de Lisle (1818 † 1894)

"Dans l'air léger, dans l'azur rose" - villanelle de Charles Leconte de Lisle - Bougainvilliers à Saint-Leu

Dans l’air léger, dans l’azur rose,
Un grêle fil d’or rampe et luit
Sur les mornes que l’aube arrose.

Fleur ailée, au matin éclose,
L’oiseau s’éveille, vole et fuit
Dans l’air léger, dans l’azur rose.

L’abeille boit ton âme, ô rose !
L’épais tamarinier bruit
Sur les mornes que l’aube arrose.

La brume qui palpite et n’ose,
Par frais soupirs s’épanouit
Dans l’air léger, dans l’azur rose.

Et la mer, où le ciel repose,
Fait monter son vaste et doux bruit
Sur les mornes que l’aube arrose.

Mais les yeux divins que j’aimais
Se sont fermés, et pour jamais,
Dans l’air léger, dans l’azur rose !

Charles Leconte de Lisle (1818 † 1894)Dans l’air léger – Villanelle – Derniers Poèmes.

Notes : comme chef du Parnasse, Charles Leconte de Lisle se devait de faire revivre la vieille forme poétique de la villanelle, populaire en France au cours du XVIème siècle. Théodore de Banville l’avait devancé en relançant la mode de la villanelle dès 1845.

Les villanelles du XVIème siècle proviennent d’une imitation française des chansons italiennes connues sous le nom de villanella ; la mode en fut lancée en France par Jacques Grévin. Elles n’avaient pas en France – comme leur modèle italien – une forme poétique très stricte : en général, cette poésie est composée de tercets alternant seulement deux rimes, avec reprises en alternances des deux vers de même rime du premier tercet dans chaque strophe, comme de lancinants refrains.

Cette forme poétique, imitée de danses rustiques, étaient particulièrement adaptées pour que le poète chante les beautés pastorales et les amours qui s’y épanouissent.

La forme canonique de la villanelle poétique française a été définie – quelque peu arbitrairement – au XIXème siècle par Joseph Boulmier à partir de systématisation de poésies du XVIIIème siècle. Cette forme « officielle » de la villanelle comprend cinq tercets et un quatrain final. Tous les vers ne connaissent que deux rimes. Les deux vers du premier tercet possédant la même rime sont repris en alternance dans les tercets deux à quatre, puis sont repris tous les deux ensembles dans le quatrain final. Soit le schéma suivant :

Refrain 1 rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Les villanelles du XVIème siècle suivaient des schémas moins strict. Ce que fait ici Charles Leconte de Lisle dans cette villanelle « Dans l’air léger », où la forme qu’il adopte suit le schéma canonique, sauf pour la dernière strophe qui n’est pas un quatrain final, mais un tercet. ne comporte pas de quatrain final (il aurait suffit de rajouter

 

« Dans l’air léger, dans l’azur rose ! » à la fin du dernier tercet pour que sa villanelle respecte la forme définie par Joseph Boulmier :

Refrain 1 rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 2 rime 1

Vers rime 1
Vers rime 2
Refrain 1 rime 1

Le Piton des Neiges – Charles Leconte de Lisle (1818 † 1894)

Le Piton des Neiges - Charles Leconte de Lisle - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancAu loin, la mer immense et concave se mêle
A l’espace infini d’un bleu léger comme elle,
Où, s’enlaçant l’un l’autre en leurs cours diligent,
Sinueux et pareils à des fleuves d’argent,
Les longs courants du large, aux sources inconnues,
Etincellent et vont se perdre dans les nues ;
Tandis qu’à l’Occident où la brume s’enfuit,
Comme un pleur échappé des yeux d’or de la Nuit,
Une étoile, là-bas, tombe dans l’étendue
Et palpite un moment sur les flots suspendue.
Mais sur le vieux Piton, roi des monts ses vassaux,
Hôte du ciel, seigneur géant des grandes Eaux,
Qui dresse, dédaigneux du fardeau des années,
Hors du gouffre natal ses parois décharnées,
Un silence sacré s’épand de l’aube en fleur.
Jamais le Pic glacé n’entend l’oiseau siffleur,
Ni le vent du matin empli d’odeurs divines
Qui vit dans les palmiers et les fraîches ravines,
Ni parmi le corail des antiques récifs,
Le murmure rêveur et lent des flots pensifs,
Ni les vagues échos de la rumeur des hommes
Il ignore la vie et le peu que nous sommes,
Et calme spectateur de l’éternel réveil,
Drapé de neige rose, il attend le Soleil.

Charles Leconte de Lisle (1818 † 1894), Le Piton des Neiges, Derniers poèmes.

Sérénité – Testament (1928) – Iris Hoarau (1896 † 1982)

Sérénité - Testament - Iris Hoarau - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancCombien de temps encor me reste-t-il à vivre ?
Combien de temps encor emplirai-je mes yeux
De votre moire, ô mer, de votre azur, ô cieux
De tout ce dont mon cœur se nourrit et s’enivre !

Combien de temps encor vous reverrai-je, ô fleurs
Plus fraîches chaque jour, en vos robes d’aurore,
Et de vos chants légers, combien de temps encore
Bercerai-je mon âme, ô doux oiseaux siffleurs !

Bois frais qui bleuissez, quand vient la nuit sereine
Jouirai-je longtemps de l’exquise douceur
Dont vous enveloppez mon âme, votre sœur,
Quand glisse sur mon front votre suave haleine ?

Etoiles qui brillez aux profondeurs des cieux
Et dont j’épelle en vain l’insondable mystère,
Vous qui voyez rêver mon âme solitaire,
Est-il aux infinis des mondes merveilleux,

Où mes terrestres yeux, clos par la mort fidèle
S’ouvriront à nouveau, plus fervents et plus purs,
Pour se griser sans fin en d’étranges azurs
Des aspects imprévus d’une beauté nouvelle !

Ai-je toujours vécu ? Revivrai-je toujours ?
Je me sens infinie. Etoiles immortelles,
Dites, le savez-vous, nos âmes seraient-elle
Promises comme vous à d’innombrables jours ?

Vous qui savez mourir, enseignez-nous la vie,
Petits oiseaux d’un jour, fleurettes d’un matin,
Qui vivez pleinement votre léger destin
Et puis vous éteignez sans regret, sans envie !

L’homme va gaspillant sa vie au fil des jours,
Mais parfois, inquiet du vide de ses heures,
Il se plait à rêver d’éternelles demeures
Où se magnifieront son œuvre et ses amours !

Rêve avec la nuit bleue et fleuris avec l’aube,
Illumine ton cœur à toutes les clartés,
Emplis, emplis tes yeux de toutes les beautés
Que l’une fait éclore et que l’autre dérobe !

Prête une oreille émue à toutes les chansons,
Entends le nid, la feuille et les claires fontaines,
Le vent léger du soir, le chant des mers lointaines,
La vie aux mille voix, aux multiples frissons !

Garde un corps jeune et frais à ton âme sylphide,
L’homme immobile et triste est plus mort que vivant,
Avec l’oiseau rieur plonge-toi dans le vent,
Danse à l’ombre des bois quelque danse fluide,

Aime d’amour profond tes frères, les humains,
Aime l’art qui libère, et les chants, et les livres,
Avec l’archet vibrant, fais courir tes doigts ivres,
Que le pinceau s’anime, ardent, entre tes mains !

Aime le pauvre amer, fais-lui, douce, sa vie !
Façonne d’autres cœurs au moule de ton cœur,
Et quand le soir viendra, de ton destin, vainqueur,
Couche-toi pour mourir, sans regret, sans envie.

Iris Hoarau (1896 † 1982), Sérénité – Testament. Poèmes mes Enfants (1980).

*

Sérénité – Testament n’est pas daté mais constitue le cœur de la dernière partie du recueil d’Iris Hoarau « Poèmes mes Enfants » intitulée Envoi. Sérénité – Testament forme en quelque sorte le testament spirituel de l’autrice et fut peut-être rédigé à l’occasion de l’impression de ses poèmes sur les presses de l’Imprimerie Cazal deux ans avant son décès, alors qu’elle été âgée de 84 ans.

Lettre au chevalier de Bertin – Evariste de Forges de Parny (1753 † 1814)

Lettre au chevalier de Bertin - Evariste de Forges de Parny - Poésie réunionnaise - Le Pétrel Blanc« Tu veux donc, mon ami, que je te fasse connaître ta patrie ? tu veux que je te parle de ce pays ignoré, que tu chéris encore parce que tu n’y es plus ?…

Ici ma main dérobe à l’oranger fleuri
Ces pommes dont l’éclat séduisit Atalante ;
Ici l’ananas plus chéri
Elève avec orgueil sa couronne brillante ;
Sur ce coteau l’atte pierreuse
Livre à mon appétit une crème flatteuse ;
La grenade plus loin s’entr’ouvre avec lenteur ;
La banane jaunit sous sa feuille élargie ;
La mangue me prépare une chair adoucie ;
Un miel solide et dur pend en haut du dattier ;
La pêche croît aussi sur ce lointain rivage ;
Et plus propice encor, l’utile cocotier
Me prodigue à la fois le mets et le breuvage. »

Evariste de Forges, chevalier de Parny (1753 † 1814), Lettre à son ami le chevalier de Bertin. De l’Ile de Bourbon, janvier 1775.

La légende de l’Ile – Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943)

La légende de l'Ile - Anne-Mary de Gaudin de Lagrange - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancLes doigts étincelants de la vague océane
Ont ciselé l’anneau de tes savanes ;
Les anciens volcans
Ont creusé tes ravins, ont sculpté ta montagne ;
Le soleil et la pluie ont béni tes campagnes,
Mon pays rayonnant !

Tu contemplais longtemps, sur des flots solitaires,
L’immuable reflet des aubes millénaires.
Ton cœur silencieux

Palpitait alangui dans l’or des crépuscules,
Lourd du rêve immobile où le siècle s’annule
Sous le regard de Dieu.

N’as-tu point regretté les splendeurs solitaires
De l’Aube où, vierge encore, Douce Silentiaire,
Penchée au bord des flots,
Tu te berçais infiniment du même songe,
Ignorant, de l’humain, les clartés, le mensonge,
Le rire et les sanglots ?

Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943), La légende de l’Ile, Poèmes pour l’Ile Bourbon, novembre 1935.

A Sainte-Marie-de-Réunion – Georges-François (1869 † 1933)

A Sainte-Marie-de-Réunion - Georges François - Poésie réunionnaise - Le Pétrel Blanc

Encore un instant pour jouir de cette heure
Et attendre que les aloès et les ronces
Soient plus bleus dans le crépuscule qui se fonce.

C’est le grand mystère
quotidien
qui revient
sur l’enchantement de la terre,
sur les chemins qui se font déserts
au loin,
avec juste assez de vent
pour faire croire à de la brise.

Georges-François (1869 † 1933), A Sainte-Marie-de-Réunion, Poèmes d’Outre-Mer (1931)

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