La légende de l’Ile – Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943)

La légende de l'Ile - Anne-Mary de Gaudin de Lagrange - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancLes doigts étincelants de la vague océane
Ont ciselé l’anneau de tes savanes ;
Les anciens volcans
Ont creusé tes ravins, ont sculpté ta montagne ;
Le soleil et la pluie ont béni tes campagnes,
Mon pays rayonnant !

Tu contemplais longtemps, sur des flots solitaires,
L’immuable reflet des aubes millénaires.
Ton cœur silencieux

Palpitait alangui dans l’or des crépuscules,
Lourd du rêve immobile où le siècle s’annule
Sous le regard de Dieu.

N’as-tu point regretté les splendeurs solitaires
De l’Aube où, vierge encore, Douce Silentiaire,
Penchée au bord des flots,
Tu te berçais infiniment du même songe,
Ignorant, de l’humain, les clartés, le mensonge,
Le rire et les sanglots ?

Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943), La légende de l’Ile, Poèmes pour l’Ile Bourbon, novembre 1935.

Jardin des îles – Anne-Marie de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943)

Jardin des îles - Anne-Mary de Gaudin de Lagrange - Poésie réunionnaise - Le Pétrel Blanc« O plaisir d’avoir pu dans le matin si bon
Dépeindre sur son écritoire
Les jardins de Madères ou de l’Ile Bourbon… »
LES ILES BIENHEUREUSES

Jardins ! O Paradis de ma rêveuse enfance,
Eblouissant mes yeux encor !
Mon cœur vous reconnaît parmi l’incandescence
De la mer et des Iles d’Or.

Les pêches que balance une brise saline
S’empourpraient de fauve chaleur,
Au verger tropical, sur l’aride colline,
Sous les frangipaniers en fleur.

La terrasse où flottait l’encens d’héliotropes
Embaumant la sieste à midi,
Faisait face à la mer où la malle d’Europe
Passait au large dans la nuit.

La liane de Mai festonnait, nuptiale,
La vérandah du bungalow,
Et l’air s’y bleuissait de l’arôme qu’exhale
Un vieux cendrier de Lucknow.

Sous l’humide gazon, dans les bois familiers,
Nos rires, nos jeux et nos cris,
Sous le feuillage noir d’odorants canneliers
Effarouchaient les bengalis.

O Palmes ! O jets d’eau dont la chanson s’épanche
Et se mêle à celle des flots !
Dans le manglier brun, O fleur soudaine et blanche
Des goélands frêles éclos !

(…)

Je te préfère à tous, Jardin dont chaque allée
M’offre ton charme ou ta splendeur ;
Où succède à l’éclat pourpre des azalées,
Du franciscéa la senteur.

J’y cueille tous les ans, tes roses de Décembre,
Tes lys d’Octobre, en Mars, l’œillet,
Et ton lilas de Perse y fleurit dès Septembre,
Après la fraîcheur des Juillets.

L’Eté serait trop court pour ta folle Pomone !
Lors, brouillant le Jeu des Saisons,
Le Printemps et l’Hiver y invitent l’Automne
A couronner leur déraison.

Le vent vient défeuiller tes arbres de Cythère
En Août, lorsque les citronniers
Etoilent des blancheurs de corolles légères
Les régimes des bananiers.

Jardin où tant d’oiseaux font moisson de brindilles
Pour nicher dans les hauts palmiers,
Et, du matin au soir, emplissent de leurs trilles
La ramure des camphriers !

Où l’oblique rayon tout rose de l’Aurore
Revêt les troncs gris de vermeil…
Où le doux crépuscule attarde aux fleurs encore
La jeune flamme du soleil…

Où je m’en vais songeuse errer au clair de lune
Dans la brise aux reflets d’argent
Qui, berçant des bambous les vergues et les hunes,
Leur arrache un gémissement…

Jardins des îles d’Or ! Jardins de mon enfance !
Gardez en mes yeux éblouis,
Les rêves, les amours de mon adolescence,
Sourires de vos Paradis !

Anne-Marie de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943), Jardin des îles, Poèmes pour l’Ile Bourbon, 1941.

*

L’écriture du poème Jardin des îles date du mois de septembre 1933.

Montgaillard – Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943)

Montgaillard - Anne-Mary de Gaudin de Lagrange - Poésie réunionnaise - Le Pétrel Blanc
La brume qui descend des cimes, le rivage
Là-bas étincelant, les oliviers sauvages
Aux talus des chemins, le funèbre mouffia
Chevelu, qui se penche avec un geste las
Sur la gorge où, parmi les lames des agaves,
Le soleil de juillet empourpre les goyaves,
Tout nous garde en ces lieux le souvenir, l’écho
Du chantre harmonieux des graves filaos.

Son ombre nous accueille au pied de la colline ;
Elle nous guide par les abruptes ravines,
Jusqu’au sous-bois humide et toujours frémissant
De la mélodieuse et pénétrante plainte
Que le vent, prolongeant son amoureuse étreinte,
Arrache, en longs soupirs, à l’arbre frissonnant.

De songes innommés, les formes impalpables
Suivaient, à pas légers, sous les épais taillis,
L’enfant mêlant son rire au cri des bengalis :
Et, de mystiques voix, aux accents ineffables,
Ont ému de l’écho de leurs syllabes d’or
L’adolescent rêveur qui s’ignorait encor.

Ta Muse habite, ô Dierx ! ces chastes solitudes,
Comme le Paille-en-Queue, aux sombres altitudes
S’enfuit pour retrouver l’odorante forêt
Que rétrécit le flot montant et vert des cannes,
Ainsi tu t’isolais des riantes savanes
Pour livrer, seul, aux bois, ton musical secret.

Ta lyre est accordée à la triste fontaine
Qui sanglote sans bruit et s’écoule incertaine
A l’ombre chuchotante et glauque des bambous :
Dans le branchage obscur et grêle des jamroses
Où se suspend la ronce et le nid du Bec-rose,
J’entends vibrer ton chant mélancolique et doux.

Ton âme s’est mêlée aux sauvages ramures,
Elle exhala l’encens de leurs âcres parfums :
Elle garda ce goût de marine salubre
Que le vent, vers la sylve, emporte avec l’embrun ;
Elle s’irradia des vagues flamboyantes
Qui se brisent au pied de la falaise ardente
Et lavent sans arrêt ses flancs lisses et bruns.

Un jour, par le sentier qui descend vers la plage,
Sur ce vieux banc moussu, pensif, tu vins t’asseoir :
Ton regard enivré d’ambitieux mirages
Erra sur l’Océan peut-être sans le voir ;
Comme l’oiseau de mer vers le large s’élance,
Ton rêve éblouissant mesurait la distance
Qui s’éloignait d’un But. Le sublime horizon
Devint pour toi, dès lors, le mur de ta prison.

O Poète ! Ta voix résonne inoubliée !
Le plus rare laurier fut tien. Mais tour à tour,
La Gloire et la Douleur et la Mort et l’Amour,
Ces graves Séraphins aux ailes repliées,
Sévères, t’ont fermé, vigilants, et subtils,
L’Eden que tu laissas pour le pays d’exil.

Tu ne revins qu’un jour aux scintillantes grèves,
T’imprégner un instant des senteurs et des sèvess
Du verger tropical et des vierges sommets ;
Mais, de ton beau Destin, prisonnier, sans murmure,
Tu repartis, hélas, meurtri de la blessure
Que fait saigner en nous un éternel regret.

Or, à Paris, un soir de triste et froide brume,
Il a revu soudain la splendeur qui s’allume
De l’aube au Crépuscule en l’ancestral jardin.
Alors, pour enchanter son âpre nostalgie,
Il dit l’hymne berceur et la mélancolie
Des Filaos plaintifs sur le morne ravin.

Anne-Mary de Gaudin de Lagrange (1902 † 1943), Montgaillard, Poèmes pour l’Ile Bourbon.

Note :
Dans la banlieue de Saint-Denis, sur les hauteurs, Montgaillard est la propriété de famille où Léon Dierx passa une partie de sa jeunesse. Le bois de filaos qui entoure la demeure de Montgaillard inspira au Prince des Poètes l’admirable pièce du recueil Les lèvres closes intitulée « Les Filaos ». Ce poème Montgaillard par Anne-Mary de Gaudin de Lagrange entend rendre hommage au célèbre Léon Dierx.

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