Sur le Détroit Malais qu’empourpre le couchant
C’est un vieux tronc moussu flottant à la dérive
Qui, n’ayant pas servi de mât ni de solive,
Epave sans passé, n’offre rien d’attachant.
Des ramiers attardés dans le ciel et cherchant
Sur les flots explorés d’une façon craintive
Un abri pour la nuit qui brusquement arrive,
L’apercevant de loin, s’y posent sur le champ.
Dans l’ombre, à la chaleur de tant de plumes blanches,
Ce débris des forêts pense au temps où ses branches
Se fleurissaient de nids, d’amonts et de chansons.
A l’aube, les oiseaux vont aux côtes voisines,
L’arbre abandonné roule aux lointains horizons,
Et moi je songe à vous, Amitiés féminines.
Auguste de Villèle (1858 † 1943), Amitiés féminines, 1912 Rayons de Miel.
Notes :
Il est probable que ce sonnet put être inspiré par les nombreux voyages maritimes que fit Auguste de Villèle, voyages motivés par ses métiers de botaniste et d’agronome passionnés. Parmi ses différents voyages, on note un tour du monde effectué en 1910, deux ans avant ce sonnet. Il ramena de nombreuses espèces végétales de ces voyages, et même quelques espèces animales (comme des crapauds pour tenter de lutter contre la prolifération des moustiques à l’Ile de La Réunion). Nous ignorons si son tour du monde fit passer Auguste de Villèle par le Détroit Malais évoqué au commencement du poème Amitiés féminines. Sous cette appellation de Détroit Malais, Auguste de Villèle désigne le Détroit de Malacca, long couloir maritime du sud-est de l’Asie situé entre la péninsule malaise (alors sous domination britannique) et l’île indonésienne de Sumatra (faisant alors partie des Indes hollandaises coloniales), et reliant par Singapour la mer de Chine méridionale, à l’Est, à la mer d’Andaman, mer bordière de l’Océan Indien, à l’Ouest. On sait que son fils Olivier de Villèle ira s’établir en Indochine française.