Amitiés féminines – Auguste de Villèle (1858 † 1943)

Amitiés féminines - Auguste de Villèle - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancSur le Détroit Malais qu’empourpre le couchant
C’est un vieux tronc moussu flottant à la dérive
Qui, n’ayant pas servi de mât ni de solive,
Epave sans passé, n’offre rien d’attachant.

Des ramiers attardés dans le ciel et cherchant
Sur les flots explorés d’une façon craintive
Un abri pour la nuit qui brusquement arrive,
L’apercevant de loin, s’y posent sur le champ.

Dans l’ombre, à la chaleur de tant de plumes blanches,
Ce débris des forêts pense au temps où ses branches
Se fleurissaient de nids, d’amonts et de chansons.

A l’aube, les oiseaux vont aux côtes voisines,
L’arbre abandonné roule aux lointains horizons,
Et moi je songe à vous, Amitiés féminines.

Auguste de Villèle (1858 † 1943), Amitiés féminines, 1912 Rayons de Miel.

Notes :
Il est probable que ce sonnet put être inspiré par les nombreux voyages maritimes que fit Auguste de Villèle, voyages motivés par ses métiers de botaniste et d’agronome passionnés. Parmi ses différents voyages, on note un tour du monde effectué en 1910, deux ans avant ce sonnet. Il ramena de nombreuses espèces végétales de ces voyages, et même quelques espèces animales (comme des crapauds pour tenter de lutter contre la prolifération des moustiques à l’Ile de La Réunion). Nous ignorons si son tour du monde fit passer Auguste de Villèle par le Détroit Malais évoqué au commencement du poème Amitiés féminines. Sous cette appellation de Détroit Malais, Auguste de Villèle désigne le Détroit de Malacca, long couloir maritime du sud-est de l’Asie situé entre la péninsule malaise (alors sous domination britannique) et l’île indonésienne de Sumatra (faisant alors partie des Indes hollandaises coloniales), et reliant par Singapour la mer de Chine méridionale, à l’Est, à la mer d’Andaman, mer bordière de l’Océan Indien, à l’Ouest. On sait que son fils Olivier de Villèle ira s’établir en Indochine française.

Dernier regret – Auguste de Villèle (1858 † 1943)

Dernier regret - Auguste de Villèle - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancEmpourprement des monts quand le soleil décline,
Odeur des sangs-dragon et des frangipaniers,
Vision de beaux corps ployant sous les paniers
Pleins de fruits savoureux mûris sur la colline ;

Mer qui revêts le soir une teinte opaline,
Panaches des bambous, bouquets des lataniers
Ouvrant vos éventails aux souffles printaniers,
Saint Gilles, Florimont, Bernica, la Saline !

Charmes puissants des lieux où nous eûmes vingt ans,
Mêlant aux souvenirs des désirs palpitants
Dans le cœur de celui dont la course est finie.

Quand il faudra quitter la terre où je me plus,
C’est vous, parfums, couleurs, contours pleins d’harmonie,
Que mon âme, à la mort, regrettera le plus.

Auguste de Villèle (1858 † 1943), Dernier regret (décembre 1886), in Rayons de miel, 1926.

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Quelques notes de botaniques sur ce poème Dernier regret d’Auguste de Villèle

  • Le sang-dragon, originaire d’Asie, a été introduit à l’Ile de La Réunion en 1830. Il tire son nom pittoresque du fait que lorsque cet arbre – qui peut atteindre jusqu’à 30 mètres – est blessé, son écorce laisse s’épancher une sève rouge. Cette sève rouge fut recherchée car elle était employée en teinture pour teindre la fibre de toutes sortes de tissus et vêtements. Plus d’informations sur le sang-dragon à La Réunion.
  • Le frangipanier est un arbuste élégant originaire d’Amérique centrale, et pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de haut. Si la beauté de ses fleurs lui ont acquis une place de choix dans les jardins créoles, plus particulièrement dans l’Ouest de l’île, sa sève prend la forme d’un lait blanchâtre à forte toxicité. Avertissez vos enfants ! Plus d’informations sur le frangipanier à La Réunion.
  • Originaire d’Asie, diverses espèces de bambous se sont très facilement acclimatées à La Réunion, au point d’y être déclarée comme espèce potentiellement envahissante. Plus d’informations sur le bambou à La Réunion.
  • Les lataniers sont des palmiers endémiques de l’archipel des Mascareignes, auquel appartient La Réunion. Ils donnent des fruits jadis consommés (les « pommes lataniers »). Menacés de disparition à l’état naturel, ils ont été activement plantés dans les espaces publics. Plus d’informations sur le latanier à La Réunion.
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