Combien de temps encor me reste-t-il à vivre ?
Combien de temps encor emplirai-je mes yeux
De votre moire, ô mer, de votre azur, ô cieux
De tout ce dont mon cœur se nourrit et s’enivre !
Combien de temps encor vous reverrai-je, ô fleurs
Plus fraîches chaque jour, en vos robes d’aurore,
Et de vos chants légers, combien de temps encore
Bercerai-je mon âme, ô doux oiseaux siffleurs !
Bois frais qui bleuissez, quand vient la nuit sereine
Jouirai-je longtemps de l’exquise douceur
Dont vous enveloppez mon âme, votre sœur,
Quand glisse sur mon front votre suave haleine ?
Etoiles qui brillez aux profondeurs des cieux
Et dont j’épelle en vain l’insondable mystère,
Vous qui voyez rêver mon âme solitaire,
Est-il aux infinis des mondes merveilleux,
Où mes terrestres yeux, clos par la mort fidèle
S’ouvriront à nouveau, plus fervents et plus purs,
Pour se griser sans fin en d’étranges azurs
Des aspects imprévus d’une beauté nouvelle !
Ai-je toujours vécu ? Revivrai-je toujours ?
Je me sens infinie. Etoiles immortelles,
Dites, le savez-vous, nos âmes seraient-elle
Promises comme vous à d’innombrables jours ?
Vous qui savez mourir, enseignez-nous la vie,
Petits oiseaux d’un jour, fleurettes d’un matin,
Qui vivez pleinement votre léger destin
Et puis vous éteignez sans regret, sans envie !
L’homme va gaspillant sa vie au fil des jours,
Mais parfois, inquiet du vide de ses heures,
Il se plait à rêver d’éternelles demeures
Où se magnifieront son œuvre et ses amours !
Rêve avec la nuit bleue et fleuris avec l’aube,
Illumine ton cœur à toutes les clartés,
Emplis, emplis tes yeux de toutes les beautés
Que l’une fait éclore et que l’autre dérobe !
Prête une oreille émue à toutes les chansons,
Entends le nid, la feuille et les claires fontaines,
Le vent léger du soir, le chant des mers lointaines,
La vie aux mille voix, aux multiples frissons !
Garde un corps jeune et frais à ton âme sylphide,
L’homme immobile et triste est plus mort que vivant,
Avec l’oiseau rieur plonge-toi dans le vent,
Danse à l’ombre des bois quelque danse fluide,
Aime d’amour profond tes frères, les humains,
Aime l’art qui libère, et les chants, et les livres,
Avec l’archet vibrant, fais courir tes doigts ivres,
Que le pinceau s’anime, ardent, entre tes mains !
Aime le pauvre amer, fais-lui, douce, sa vie !
Façonne d’autres cœurs au moule de ton cœur,
Et quand le soir viendra, de ton destin, vainqueur,
Couche-toi pour mourir, sans regret, sans envie.
Iris Hoarau (1896 † 1982), Sérénité – Testament. Poèmes mes Enfants (1980).
Sérénité – Testament n’est pas daté mais constitue le cœur de la dernière partie du recueil d’Iris Hoarau « Poèmes mes Enfants » intitulée Envoi. Sérénité – Testament forme en quelque sorte le testament spirituel de l’autrice et fut peut-être rédigé à l’occasion de l’impression de ses poèmes sur les presses de l’Imprimerie Cazal deux ans avant son décès, alors qu’elle été âgée de 84 ans.