Tout chavire et tout sombre. – Au bord de quel rivage ?
Tout s’est évanoui, sauf l’éclair d’un visage.
Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des Poètes, Le Moribond, Poésies posthumes (1912).
Léon Dierx fut le disciple le plus fidèle de Leconte de Lisle et l’un des intimes de son maître.
Né à Saint-Denis le 31 mars 1838, il y passe une jeunesse solitaire et rêveuse, au cours de laquelle se révéla déjà un don poétique dont témoigne un mince volume d’« Aspirations » publié à vingt ans (à Paris, chez Dentu en 1858), qu’il n’a pas admis dans le recueil de ses œuvres complètes.
Quittant La Réunion à quinze ans, il achève à Paris ses études secondaires et commence, pour les abandonner bientôt, des études scientifiques. Au cours de deux retours à Bourbon pour de très brefs séjours en 1858 et 1860, il retrouve la cousine qui lui avait inspiré un profond amour auquel il était resté fidèle ; mais le « non » – correct – de la jeune fille marqua pour toujours la sensibilité et même la pensée de Léon Dierx. L’image que la vierge « insouciante » avait tracée sur la cire vierge de son cœur y resta gravée jusqu’à sa mort et son existence devint « le grand désert aride où l’on où l’on se ressouvient » ; et, dans les derniers vers qu’il a écrits, c’est ce même visage que l’on retrouve.
En 1864 parurent les Poèmes et Poésie ; en 1867 Les lèvres closes, le meilleur de ses recueils ; en 1871 les Paroles du vaincu ; en 1879 Les Amants. Une scène dramatique (La Rencontre) en 1875 et treize Poèmes posthumes en 1912 composent la totalité de son œuvre.
Bien qu’on puisse le ranger parmi les Parnassiens, Dierx a une personnalité originale, qui se distingue par une sensibilité délicate et voluptueuse, un don de rêverie tendre et mélancolique, qui atténue l’amertume de son pessimisme. Même dans l’exotisme il apporte une note nouvelle : moins colorés que ceux de Leconte de Lisle, ses paysages sont plus musicaux que pittoresques. On a pu dire de certaines pièces, comme Les Filaos ou Soirs d’Octobre qu’elles « sont moins des paysages que des symphonies musicales ».
Sa forme aussi lui est propre : son vers est d’une fluidité douce, d’une harmonie langoureuse. Il use souvent d’un alexandrin très travaillé, « tourné », comme il aimait à dire, fait d’une correspondance savante de sons qui, d’un hémistiche à l’autre, se complètent et se prolongent (voir en particulier L’Odeur sacrée).
La noble fierté de son caractère, la dignité de sa vie très modeste ont fait dire de lui qu’il était « un saint de la poésie » (Rosenbach) et qu’il avait « réalisé le chef-d’œuvre de la beauté morale » (Anatole France). Aussi c’est lui que ses pairs, à la disparition de Mallarmé en 1898, élurent Prince des Poètes. Il est mort à Paris en 1912.
Le musée d’Art & d’Histoire de Saint-Denis de La Réunion qui ouvre ses portes le 12 novembre de la même année reçoit alors son nom : Musée Léon Dierx.
Tout chavire et tout sombre. – Au bord de quel rivage ?
Tout s’est évanoui, sauf l’éclair d’un visage.
Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des Poètes, Le Moribond, Poésies posthumes (1912).
Flots qui portiez la vie au seuil obscur des temps,
Qui la roulez toujours en embryons flottants
Dans le flux et reflux du primitif servage,
Éternels escadrons cabrés sur un rivage
Ou contre un roc, l’écume au poitrail, flots des mers,
Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !
Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des poètes, Flots des mers, Les Lèvres closes.
Et l’ombre est couleur d’ambre et tout s’y recolore.
Pour ravir le rêveur un éclair vient d’éclore.
Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des Poètes, L’odeur sacrée, Les Lèvres closes.
A Catulle Mendès.
Un long frisson descend des coteaux aux vallées ;
Des coteaux et des bois, dans la plaine et les champs,
Le frisson de la nuit passe vers les allées.
– Oh ! l’angelus du soir dans les soleils couchants ! –
Sous une haleine froide au loin meurent les chants,
Les rires et les chants dans les brumes épaisses.
Dans la brume qui monte ondule un souffle lent ;
Un souffle lent répand ses dernières caresses,
Sa caresse attristée au fond du bois tremblant ;
Les bois tremblent ; la feuille en flocon sec tournoie,
Tournoie et tombe au bord des sentiers désertés.
Sur la route déserte un brouillard qui la noie,
Un brouillard jaune étend ses blafardes clartés ;
Vers l’occident blafard traîne une rose trace,
Et les bleus horizons roulent comme des flots,
Roulent comme une mer dont le flot nous embrasse,
Nous enlace, et remplit la gorge de sanglots.
Plein du pressentiment des saisons pluviales,
Le premier vent d’octobre épanche ses adieux,
Ses adieux frémissants sous les feuillages pâles,
Nostalgiques enfants des soleils radieux.
Les jours frileux et courts arrivent. C’est l’automne.
– Comme elle vibre en nous, la cloche qui bourdonne ! –
L’automne, avec la pluie et les neiges, demain
Versera les regrets et l’ennui monotone ;
Le monotone ennui de vivre est en chemin !
Plus de joyeux appels sous les voûtes ombreuses ;
Plus d’hymnes à l’aurore, ou de voix dans le soir
Peuplant l’air embaumé de chansons amoureuses !
Voici l’automne ! Adieu, le splendide encensoir
Des prés en fleurs fumant dans le chaud crépuscule !
Dans l’or du crépuscule, adieu, les yeux baissés,
Les couples chuchotants dont le cœur bat et brûle,
Qui vont la joue en feu, les bras entrelacés,
Les bras entrelacés quand le soleil décline !
– La cloche lentement tinte sur la colline. –
Adieu, la ronde ardente, et les rires d’enfants,
Et les vierges, le long du sentier qui chemine,
Rêvant d’amour tout bas sous les cieux étouffants !
– Ame de l’homme, écoute en frémissant comme elle
L’âme immense du monde autour de toi frémir !
Ensemble frémissez d’une douleur jumelle.
Vois les pâles reflets des bois qui vont jaunir ;
Savoure leur tristesse et leurs senteurs dernières,
Les dernières senteurs de l’été disparu ;
– Et le son de la cloche au milieu des chaumières ! –
L’été meurt ; son soupir glisse dans les lisières.
Sous le dôme éclairci des chênes a couru
Leur râle entre-choquant les ramures livides.
Elle est flétrie aussi, ta riche floraison,
L’orgueil de ta jeunesse ! et bien des nids sont vides,
Âme humaine, où chantaient dans ta jeune saison
Les désirs gazouillants de tes aurores brèves.
Âme crédule ! écoute en toi frémir encor,
Avec ces tintements douloureux et sans trêves,
Frémir depuis longtemps l’automne dans tes rêves,
Dans tes rêves tombés dès leur premier essor.
Tandis que l’homme va, le front bas, toi, son âme,
Écoute le passé qui gémit dans les bois !
Écoute, écoute en toi, sous leur cendre et sans flamme,
Tous tes chers souvenirs tressaillir à la fois
Avec le glas mourant de la cloche lointaine !
Une autre maintenant lui répond à voix pleine.
Écoute à travers l’ombre, entends avec langueur
Ces cloches tristement qui sonnent dans la plaine,
Qui vibrent tristement, longuement, dans ton cœur !
Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des Poètes. Soir d’octobre, Les lèvres closes (1867).