Flots des mers – Léon Dierx (1838 † 1912)

Flots des mers - Léon Dierx - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancFlots qui portiez la vie au seuil obscur des temps,
Qui la roulez toujours en embryons flottants
Dans le flux et reflux du primitif servage,
Éternels escadrons cabrés sur un rivage
Ou contre un roc, l’écume au poitrail, flots des mers,
Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !

Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des poètes, Flots des mers, Les Lèvres closes.

Soir d’octobre – Léon Dierx (1838 † 1912)

Soir d'octobre - Léon Dierx - Poésie réunionnaise - Le Pétrel BlancA Catulle Mendès.

Un long frisson descend des coteaux aux vallées ;
Des coteaux et des bois, dans la plaine et les champs,
Le frisson de la nuit passe vers les allées.
– Oh ! l’angelus du soir dans les soleils couchants ! –
Sous une haleine froide au loin meurent les chants,
Les rires et les chants dans les brumes épaisses.
Dans la brume qui monte ondule un souffle lent ;
Un souffle lent répand ses dernières caresses,
Sa caresse attristée au fond du bois tremblant ;
Les bois tremblent ; la feuille en flocon sec tournoie,
Tournoie et tombe au bord des sentiers désertés.
Sur la route déserte un brouillard qui la noie,
Un brouillard jaune étend ses blafardes clartés ;
Vers l’occident blafard traîne une rose trace,
Et les bleus horizons roulent comme des flots,
Roulent comme une mer dont le flot nous embrasse,
Nous enlace, et remplit la gorge de sanglots.
Plein du pressentiment des saisons pluviales,
Le premier vent d’octobre épanche ses adieux,
Ses adieux frémissants sous les feuillages pâles,
Nostalgiques enfants des soleils radieux.
Les jours frileux et courts arrivent. C’est l’automne.
– Comme elle vibre en nous, la cloche qui bourdonne ! –
L’automne, avec la pluie et les neiges, demain
Versera les regrets et l’ennui monotone ;
Le monotone ennui de vivre est en chemin !
Plus de joyeux appels sous les voûtes ombreuses ;
Plus d’hymnes à l’aurore, ou de voix dans le soir
Peuplant l’air embaumé de chansons amoureuses !
Voici l’automne ! Adieu, le splendide encensoir
Des prés en fleurs fumant dans le chaud crépuscule !
Dans l’or du crépuscule, adieu, les yeux baissés,
Les couples chuchotants dont le cœur bat et brûle,
Qui vont la joue en feu, les bras entrelacés,
Les bras entrelacés quand le soleil décline !
– La cloche lentement tinte sur la colline. –
Adieu, la ronde ardente, et les rires d’enfants,
Et les vierges, le long du sentier qui chemine,
Rêvant d’amour tout bas sous les cieux étouffants !
– Ame de l’homme, écoute en frémissant comme elle
L’âme immense du monde autour de toi frémir !
Ensemble frémissez d’une douleur jumelle.
Vois les pâles reflets des bois qui vont jaunir ;
Savoure leur tristesse et leurs senteurs dernières,
Les dernières senteurs de l’été disparu ;
– Et le son de la cloche au milieu des chaumières ! –
L’été meurt ; son soupir glisse dans les lisières.
Sous le dôme éclairci des chênes a couru
Leur râle entre-choquant les ramures livides.
Elle est flétrie aussi, ta riche floraison,
L’orgueil de ta jeunesse ! et bien des nids sont vides,
Âme humaine, où chantaient dans ta jeune saison
Les désirs gazouillants de tes aurores brèves.
Âme crédule ! écoute en toi frémir encor,
Avec ces tintements douloureux et sans trêves,
Frémir depuis longtemps l’automne dans tes rêves,
Dans tes rêves tombés dès leur premier essor.
Tandis que l’homme va, le front bas, toi, son âme,
Écoute le passé qui gémit dans les bois !
Écoute, écoute en toi, sous leur cendre et sans flamme,
Tous tes chers souvenirs tressaillir à la fois
Avec le glas mourant de la cloche lointaine !
Une autre maintenant lui répond à voix pleine.
Écoute à travers l’ombre, entends avec langueur
Ces cloches tristement qui sonnent dans la plaine,
Qui vibrent tristement, longuement, dans ton cœur !

Léon Dierx (1838 † 1912), Prince des Poètes. Soir d’octobre, Les lèvres closes (1867).

Notes

  • Catulle Mendès (1841 † 1909), à qui est dédié Soir d’octobre, fut un poète parnassien qui avait fréquenté assidûment le salon de Leconte de Lisle, où l’avait rencontré Léon Dierx. Mendès avait participé activement à la création du Parnasse autour de Leconte de Lisle, Léon Dierx, François Coppée, José-Maria de Heredia et Théodore de Banville,  et s’en était fait l’historien en publiant La Légende du Parnasse contemporain.
  • « Soir d’octobre »  est listé sous « Le soir d’octobre » dans la table des matières des Lèvres closes.

 

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