C’est très vieux, c’est très ancien, ce sont des choses
très douces : la maison blanche au bout de l’allée
avec les souvenirs de l’enfance en allée
sous les palmiers, le long des grands hibiscus roses.
Les mousses ont mordu le bardeau des toitures ;
la fenêtre est ouverte, et je sais quelqu’un est là,
qui jadis, d’une voix reconnue, m’appela
de loin, lorsque le soir épaissit les verdures.
On n’a pas relevé les rideaux sur la rampe ;
la pierre s’est fêlée aux marches du perron,
et c’est vers le passé que nous nous en irons,
comme jadis, à l’heure où s’allument les lampes.
Je marcherai très doucement, en étranger
à ces lieux, qui ne veut se faire reconnaître
de celle qui rêvait souvent à la fenêtre
quand le vent de la mer entrait sous le verger.
Me feront-ils encor l’accueil de leurs paroles ?
Combien de jours, combien d’années depuis cela !
Les vieux parents conversaient sous la verandah,
avec l’inflexion calme des voix créoles.
Ils parlaient de choses intimes en famille,
assis en cercle dans leurs fauteuils de rotin,
et des proches hangars aux madriers disjoints
s’échappaient des odeurs de sucre et de vanille.
Aujourd’hui, la maison peut-être est sans lumière
l’eau qui chantait ne coule plus dans le bassin.
On n’entend ni les voix, ni l’aboiement du chien,
et les chauve-souris sortent dans la gouttière.
Et c’est très vieux, c’est très lointain : ce sont des choses
qu’on a perdues : la maison au bout de l’allée,
avec les souvenirs de l’enfance en allée
par la route du soir sous les hybiscus roses.
Georges-François (1869 † 1933), C’est très vieux, Poèmes d’Outre-Mer.